Le naufrage climatique est en vue, prévient le GIEC

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À défaut de réduire substantiellement — et rapidement — les émissions mondiales de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique déjà provoqué par l’activité humaine risque d’atteindre des niveaux catastrophiques d’ici 20 ans, prévient le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans un rapport publié lundi. Un document qui démontre la nécessité de mettre un terme aux nouveaux projets d’énergies fossiles, selon l’ONU.

En plus de détailler les conséquences déjà bien visibles de notre dépendance au pétrole, au charbon et au gaz naturel, le GIEC souligne dans ce nouveau rapport que la situation actuelle n’est qu’un prélude de ce qui est à venir si l’humanité ne parvient pas à stopper ses émissions de gaz à effet de serre (GES) en atteignant la « carboneutralité » d’ici 2050.

Dans tous les scénarios envisagés — du plus optimiste au plus pessimiste —, la température mondiale grimpe de 1,5 °C ou 1,6 °C par rapport à l’ère préindustrielle d’ici 2030, voire 2040. Ce réchauffement se situe déjà à près de +1,1 °C, précise le GIEC, alors que l’objectif le plus ambitieux de l’Accord de Paris est de le limiter à +1,5 °C.

1,1°C
C’est le niveau que le réchauffement climatique atteint déjà par rapport à l’ère pré-industrielle.

Selon les scénarios les plus sévères, soit ceux d’un maintien des émissions au rythme actuel, le réchauffement atteindrait une hausse catastrophique de +3,6 °C à +4,4 °C entre 2081 et 2100.

Même en supposant que les émissions de GES se stabilisent, puis qu’elles diminuent au cours des prochaines décennies, la hausse moyenne des températures risque d’atteindre +2 °C d’ici une vingtaine d’années, puis près de +3 °C d’ici la fin du siècle. La dernière fois que la température moyenne mondiale a été de 2,5 °C plus élevée que celle enregistrée à l’ère préindustrielle, c’était « il y a plus de trois millions d’années », rappelle le GIEC.

+4,4°C
Si les d’émissions de gaz à effet de serre se maintiennent au niveau actuel, c’est la hausse moyenne des températures qui pourrait être atteinte entre 2081 et 2100 par rapport à l’ère pré-industrielle.

Au milieu de ses sombres projections, le regroupement de scientifiques souligne néanmoins que, dans le meilleur scénario, la hausse des températures pourrait revenir sous le seuil de +1,5 °C d’ici la fin du siècle en coupant drastiquement les émissions de GES et en absorbant plus de CO2 qu’on en émet. Mais les techniques permettant de récupérer à large échelle le CO2 dans l’atmosphère ne sont toujours qu’au stade de la recherche, note le GIEC.

Pour le moment, les signaux scientifiques ne pointent par ailleurs pas vers une réduction marquée des émissions de GES. Après une année de déclin marqué des émissions mondiales en raison de la pandémie de COVID-19, l’Agence internationale de l’énergie prédit même un rebond important cette année des émissions causées par la combustion des énergies fossiles.

Répercussions concrètes

Bien que les bouleversements climatiques n’aient pas encore atteint les seuils dramatiques inscrits dans ce nouveau rapport scientifique international, les conséquences sont déjà bien réelles, souligne le GIEC. Les vagues de chaleur, les canicules et les sécheresses sont très certainement « plus fréquentes et plus intenses » dans la plupart des régions du globe depuis les années 1950, tout comme les événements de précipitations intenses.

L’humanité est également responsable de la fonte des glaces du Groenland, de celle de plusieurs glaciers de la planète et du déclin marqué des glaces de mer de l’Arctique. Même chose pour la hausse du niveau des océans et leur réchauffement. Sous l’influence de la fonte des glaces polaires, le niveau des océans va d’ailleurs continuer à augmenter pendant des siècles, voire des millénaires.

 Ce rapport doit sonner le glas du charbon et des énergies fossiles avant qu’ils ne détruisent notre planète.

 

Le niveau des océans, qui a déjà gagné 20 cm depuis 1900, pourrait encore monter d’environ 50 cm d’ici 2100, même en supposant de limiter le réchauffement à +2 °C. Un tel scénario représente une menace directe pour des régions côtières comme l’est du Québec.

Pour la première fois, le GIEC souligne également « ne pas pouvoir exclure » la survenue des « points de bascule », comme la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique ou la mort de forêts, qui entraîneraient le système climatique vers un changement dramatique et irrémédiable. Des signes de ces points de bascule sont d’ailleurs déjà visibles en Amazonie, la plus vaste forêt tropicale de la planète.

Pour le directeur général du consortium de recherche Ouranos, Alain Bourque, ce nouveau signal d’urgence des « points de bascule » devrait être pris au sérieux, d’autant plus qu’il pourrait toucher les glaces du Groenland ou encore le pergélisol. Dans certaines régions nordiques, ce sol gelé en permanence, qui a déjà commencé à fondre, contient « des quantités phénoménales de méthane », un puissant gaz à effet de serre.

Urgence climatique

Alors qu’il faudrait réduire les émissions de CO2 de moitié d’ici 2030 pour limiter le réchauffement à +1,5 °C, tous les regards se tournent désormais vers Glasgow, en Écosse, où se réuniront en novembre les dirigeants du monde entier dans le cadre de la COP26, afin de faire le point sur la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

« Il n’y a pas le temps d’attendre et pas de place pour les excuses », a d’ailleurs insisté lundi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, réclamant que la COP26 soit un « succès », après cette « alerte rouge pour l’humanité » lancée par le GIEC.

Mais à ce stade, seulement la moitié des gouvernements ont révisé leurs engagements en matière d’émissions de gaz à effet de serre. La précédente série d’engagements, prise dans la foulée de l’Accord de Paris de 2015, conduirait à un monde à « +3 °C, s’ils étaient respectés », mais au rythme actuel, le monde se dirige plutôt vers « +4 °C ou +5 °C ».

Si ce dernier scénario se confirmait, le GIEC prévient que le monde tel qu’on le connaît deviendrait carrément « méconnaissable », avec un « recul de l’espérance de vie » et « un recul de la qualité de vie » dans plusieurs régions de la planète. « L’état de santé et de bien-être » de la population serait ainsi « substantiellement réduit » et cet état continuerait de se dégrader au cours des décennies suivantes. Le GIEC met d’ailleurs en garde contre une hausse « majeure » des prix des aliments, des conflits et des migrations climatiques.

Adaptation obligée

Quelle que soit l’ampleur du réchauffement, le Canada et le Québec devront rapidement mettre en place des mesures d’adaptation, selon Alain Bourque. Le directeur général d’Ouranos rappelle ainsi que le sud du pays se réchauffe deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale et le nord, presque trois fois plus.

Les bouleversements du climat se feront sentir sur la santé publique, notamment en raison des canicules plus fréquentes et plus intensives. Le réchauffement affectera également la qualité de l’air. Selon les travaux publiés par Ouranos, on prévoit « plus de 20 000 décès additionnels causés par l’augmentation de la température » dans les 45 prochaines années. Les coûts pourraient d’ailleurs dépasser les 33 milliards de dollars, essentiellement en raison des pertes de vies prématurées, estime le consortium de recherche.

Les événements climatiques extrêmes observés au cours des dernières années seront aussi plus présents, souligne M. Bourque, sans compter que l’érosion côtière et la hausse du niveau des océans toucheront de plus en plus les régions maritimes du Québec. Selon les données d’Ouranos, 50 % du littoral du Québec est affecté par l’érosion, avec un recul moyen de 50 cm par année. Plus de 5000 bâtiments et 300 kilomètres de routes sont ainsi menacés.

Mettre fin aux énergies fossiles

Face à l’avenir apocalyptique prédit par la science, les appels à agir se sont multipliés un peu partout dans le monde lundi, après la publication du rapport du GIEC. « Il y a une urgence. En 2030, si nous n’avons pas pris les décisions nécessaires pour réduire sérieusement les émissions de GES, nous irons largement vers un réchauffement au-dessus des deux degrés Celsius », a résumé Alain Bourque.

« Ce rapport doit sonner le glas du charbon et des énergies fossiles avant qu’ils ne détruisent notre planète », a insisté pour sa part le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, accusant ces énergies et la déforestation « d’étouffer la planète ».

Pour le moment, ces énergies comblent toujours la majorité des besoins de l’humanité. Or, pour espérer limiter le réchauffement climatique à un seuil sécuritaire, il faut abandonner dès maintenant tout nouveau projet d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles, concluait en mai l’Agence internationale de l’énergie en plaidant pour une hausse sans précédent des investissements dans le développement des énergies renouvelables.

Ce scénario ne cadre pas avec les projections actuelles de production pétrolière et gazière au Canada. Selon les plus récentes données de la Régie de l’énergie du Canada, on prévoit une croissance de plus de 30 % de la production gazière d’ici 2040, principalement grâce à l’exploitation par fracturation dans l’ouest du pays.

L’industrie pétrolière envisage également une croissance, notamment dans le secteur des sables bitumineux. Au large de Terre-Neuve, on souhaite aussi doubler la production pétrolière en milieu marin après 2030 — un souhait appuyé par le gouvernement Trudeau, qui a déjà approuvé 40 nouveaux forages depuis le début de l’année.

Le prochain rapport du GIEC, portant sur les conséquences du réchauffement, est prévu pour février 2022. Il montre en détail comment la vie sur Terre sera inéluctablement transformée d’ici 30 ans, voire plus tôt, selon une version préliminaire obtenue par l’Agence France-Presse. Le troisième volet sur les solutions est attendu en mars.

Avec l’Agence France-Presse et La Presse canadienne

SOURCE : Le Devoir