Il faut financer à long terme les groupes communautaires, disent les chefs de police
Les groupes communautaires sont des partenaires essentiels sur le terrain pour les policiers qui combattent la violence armée et les gouvernements doivent les financer de manière pérenne, selon les chefs de police de Montréal, Laval et Longueuil, qui ont accordé une entrevue à Patrice Roy sur ICI RDI, mercredi.
Les milieux communautaires, ça fait 20, 30, 40 ans qu’ils sont sur le terrain et ils ont « le pouls terrain » bien mieux que nous, affirme Fady Dagher, directeur du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL).
En novembre 2021, des intervenants du milieu communautaire comme Abdellah Azzouz, du Forum jeunesse de Saint-Michel, ont participé à une marche pour dénoncer le fait que trois adolescents avaient été tués cette année-là à Montréal dans des événements de violence armée.
PHOTO : RADIO CANADA INTERNATIONAL / SAMIR BENDJAFER
De concert avec Sophie Roy, directrice générale par intérim du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et Pierre Brochet, directeur du Service de police de Laval (SPL), le chef de la police de Longueuil plaide pour que les groupes communautaires obtiennent la pérennisation de leur financement
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De gauche à droite, le directeur général du Service de police de l’agglomération de Longueuil Faby Dagher, la directrice générale intérimaire du Service de police de la Ville de Montréal Sophie Roy et le directeur général du Service de police de Laval, Pierre Brochet.
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Leur intervention survient dans un contexte où la multiplication des fusillades dans le Grand Montréal crée un sentiment d’insécurité parmi la population. La situation est telle qu’à la fin d’août le gouvernement du Québec a accordé 250 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans pour permettre, notamment, l’embauche de 450 policiers au SPVM.
Quelques jours auparavant, deux fusillades successives étaient survenues en plein jour dans des lieux publics de la métropole, faisant deux morts.
Devant cette vague de violence, les policiers ont fort à faire : La répression à court terme est nécessaire, obligatoire, insiste Fady Dagher. Il faut vraiment calmer le jeu en ce qui concerne les fusillades.
Et la police doit continuer à recevoir du financement, parce qu’on doit rester à niveau dans l’actualité sur le plan de la modernisation des crimes, des enquêtes, poursuit le directeur du SPAL.
Les impacts de la COVID-19
Mais le travail policier à lui seul ne pourra en venir à bout. Dieu sait que le nerf de la guerre est dans les groupes communautaires, les travailleurs de rue, ces gens-là, assure Fady Dagher.
Le problème, c’est qu’ils [les groupes communautaires] doivent travailler chaque année pour aller chercher du budget, explique pour sa part Pierre Brochet, du Service de police de Laval (SPL). Il y a de l’instabilité.
Outre la précarité de son financement, le milieu communautaire doit composer avec les difficultés engendrées par la pandémie de COVID-19. La crise sanitaire, qui a entraîné confinement, télétravail et autres nouvelles réalités, a affecté le filet social, décrit Pierre Brochet. Le soutien et l’encadrement apportés aux jeunes s’en sont ressentis.
« Les deux dernières années, on a vu une recrudescence de la violence. » — Une citation de Pierre Brochet, chef du Service de police de Laval (SPAL)
Un sentiment d’impunité
Une succession d’événements précède généralement une décharge d’arme à feu. Il y a une partie qui s’est peut-être passée dans une cour d’école, explique Sophie Roy, du SPVM, une autre partie qui s’est passée sur les réseaux sociaux. Donc, les services de police doivent travailler sur tous ces plans-là et on a besoin de nos partenaires du milieu scolaire et du milieu communautaire.
Selon Mme Roy, certains jeunes ont un sentiment d’impunité.
« Il y a comme une banalisation, une inconscience [de la part de certains jeunes] par rapport à ce qui peut leur arriver. Une inconscience par rapport à la vie humaine. » — Une citation de Sophie Roy, directrice générale intérimaire du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)
Et bien que les corps policiers travaillent d’arrache-pied aux enquêtes et qu’ils fassent front commun, ça va prendre aussi la contribution de tout le milieu, insiste Mme Roy. En effet, il se produit un changement de culture du milieu criminel.
« Une culture, ça ne se met pas en prison. Il va falloir travailler tout le monde ensemble, dit-elle.
Sinon, les forces policières seront toujours en rattrapage, en réaction, renchérit Fady Dagher.
Les chefs de police rejettent toutefois l’idée que leurs troupes soient dépassées par la situation.
On a eu de beaux succès cette année, fait valoir Pierre Brochet, qui cite les résultats positifs d’une stratégie mise en place à Laval plus tôt cette année. Par rapport à la même période en 2021, le SPL constate une diminution de 52 % du nombre de coups de feu sur le terrain.
Pierre Brochet salue également l’instauration de l’opération Centaure (Coordination des efforts nationaux sur le trafic d’armes, unis dans la répression et les enquêtes), dans laquelle Québec a investi 90 millions de dollars il y a un an. On travaille en équipe, vraiment de façon très structurée, dit-il, se félicitant du travail colossal qui est abattu en matière d’arrestations et de saisies d’armes à feu.
Les policiers sont aussi présents en milieu scolaire, dans les activités sportives, affirme Pierre Brochet : Ce qu’on veut, c’est éviter que le jeune prenne des plus vieux, plus criminalisés, plus violents comme modèles, puis décide de suivre cette voie-là.
« On fait face à du crime désorganisé. Passer le message au petit jeune de 16-17 ans dans sa cave, dans le sous-sol, c’est une autre histoire. » — Une citation de Fady Dagher, chef du Service de police de l’agglomération de Longueuil
Le soutien des citoyens
Pour mener à bien leur travail, les policiers ont besoin du soutien des citoyens, insiste Sophie Roy.
C’est nécessaire de promouvoir le métier de policier, qui est noble et extrêmement complexe en 2022, ajoute Fady Dagher.
Sur le terrain, des policiers ont confié ne plus vouloir intervenir dans des situations possiblement criminelles afin d’éviter d’être filmés, puis livrés au tribunal populaire des réseaux sociaux.
Le chef du SPAL, qui dit patrouiller souvent avec ses troupes sur le terrain, confirme que ce phénomène de désengagement existe dans les rangs policiers. La pression médiatique, la pression des médias sociaux, le jugement rapide sur la place publique sans avoir la chance de s’exprimer est extrêmement difficile sur eux, dit M. Dagher.
Et il n’y a pas que ça : les policiers font de plus en plus face à la détresse humaine. Selon Fady Dagher, 70 % des appels reçus par les policiers sont liés à des problèmes sociaux, psychologiques. La police, ce n’est pas une psychologue, résume-t-il.